La nuit n’est qu’un passage. C’est le sens même du mot « Pâques ». Nous célébrons ce soir notre passage de la mort à la vie, de la servitude à la liberté, de la nuit à la lumière du jour. Nous sommes ce soir plongés dans cette aventure merveilleuse de la nouvelle naissance.
C’est un peu comme un film qui nous fait vibrer en nous racontant une histoire et en nous plongeant dans les émotions qu’elle suscite.
Mais ce que nous faisons ce soir est bien plus que de regarder un film. Nous faisons mémoire. Nous retraçons l’histoire de notre salut. Nous nous approprions cette histoire en regardant Dieu qui créé le monde, en écoutant Dieu avec Abraham, en marchant avec les hébreux à travers la mer rouge, en courant au tombeau avec les femmes au matin de la résurrection.
Ce regard n’est pas extérieur comme l’est une simple histoire qu’on nous raconte. La liturgie a cette capacité de nous plonger entièrement dans la réalité du salut qui s’est déployée sur plusieurs siècles. Ce soir, toute cette histoire se déroule dans le cœur de chacun d’entre nous. Nous vivons vraiment le passage. Passage du rien du commencement à l’existence. Passage de la surdité de l’humanité qui n’entend plus l’amour de Dieu à l’obéissance d’Abraham. Passage à travers la mer rouge pour gagner la terre promise. Et surtout, le passage que tous les autres passages ont préparé : passage de la mort à la vie par la force de la résurrection de Jésus.
Nous vivons ce soir la lumière du Christ qui transperce la nuit du péché et qui nous illumine. Nous sortons du sommeil de notre péché alors que la nuit touche à sa fin et nous nous réveillons à la vie de la grâce lorsque se lève en nos cœurs le Christ soleil levant. Avec le Christ nous mourrons au péché et avec lui nous ressuscitons.
La nuit n’existe plus ; elle est passée ; elle est transpercée. Le chaos, le vide et vague, le Tohu-Bohu des commencements laisse place à la lumière qui donne vie. « Que la lumière soit ! » dit Dieu. Et sa Parole d’une puissance infinie introduit la lumière dans le monde en la séparant des ténèbres. Dans cette lumière naissante de la création est déjà contenue la lumière nouvelle qui nous est donnée ce soir. La ténèbre profonde de l’homme plongé dans le péché laisse place à la lumière de la Résurrection du Christ.
Le jour nouveau se lève et c’est désormais le Seigneur lui-même qui éclaire notre cœur : « La nuit aura disparu, [annonce l’Apocalypse] ils n’auront plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera ; ils régneront pour les siècles des siècles. » (Ap 22, 5)
Nuit de mémoire. Nuit qui fait entrer en nous la lumière que nous célébrons.
Dans le récit de la création, Dieu commence le premier jour par séparer la lumière des ténèbres. Tout commence par cette lumière qui jaillit de Dieu. Puis c’est le troisième jour que Dieu créé les luminaires pour porter cette lumière. Le soleil et la lune doivent « éclairer la terre » et servir de « signes pour marquer les fêtes, les jours et les années. » Les astres du commencement servent à faire mémoire en marquant le temps par l’action lumineuse de Dieu dans le monde. Sans les luminaires, nous serions déboussolés, incapable de faire mémoire, incapable de recevoir la lumière divine.
Dans la nuit de Pâques, la lumière nouvelle qui est donnée à besoin de nouveaux luminaires : les apôtres. Ce sont eux qui vont désormais porter la lumière au monde et à travers eux, c’est toute l’Église qui est appelée à annoncer cette espérance nouvelle qui jaillit de la mort et de la résurrection du Christ.
Les femmes : ce sont elles qui d’abord sont allées au tombeau dès les premières lueurs du jour. Ce sont elles qui portent la bonne nouvelle aux onze apôtres. Puis les apôtres se rendent au tombeau pour voir par eux-mêmes et être éclairés par le Christ ressuscité. Ils pourront alors porter la joie de la résurrection et la distribuer au monde entier.
Du chaos des derniers jours jaillit enfin la vie nouvelle qui se répand sur le monde.
Dans cette nuit, nous sommes recréés, nous sommes illuminés d’une lumière nouvelle et nous naissons à nouveau. Nuit de la nouvelle naissance. La lumière avait permis la vie sur la terre. La lumière du Christ qui jaillit dans la nuit permet que l’homme sorte de son péché et vive de la vie divine. Nuit du baptême qui donne la vie nouvelle dans le Christ.
« À quoi nous servirait-il de naître sans le bonheur d’être sauvé ? » dit l’Exultet qui ouvre la vigile. Nous sommes nés par la puissance de Dieu qui nous a tirés du néant. Nous renaissons en passant avec le Christ dans la mort et en ressuscitant avec lui. Nous sommes désormais porteurs de sa lumière et de sa vie dans un monde qui a besoin d’être renouvelé par la vie sainte qu’il nous offre.