Le bienheureux Pierre Claverie O.P., dominicain, évêque d’Oran en Algérie, martyr le 1er août 1996.
Colloque Hindouisme et catholicisme à La Réunion, UCO, le 7 juin 2025.
La devise de l’Action Catholique comporte trois mots pour l’analyse des réalités sociales : « Regarder, discerner, transformer ». Le frère dominicain Pierre Claverie est né le 8 mai 1938 dans un quartier d’Alger, de parents français établis en Algérie depuis quatre générations. La guerre de l’Indépendance en Algérie de 1954 à 1962 a représenté pour lui un choc émotionnel et un réveil de ce qu’il appellera plus tard « bulle coloniale ». Il avait vécu sa jeunesse en Algérie sans rencontrer les Algériens musulmans. Il avait grandi en Algérie sans la connaître. Il reconnaissait ne pas avoir d’amis arabes. Pas de racisme mais indifférence, ignorant des réalités des autres.
Il me semble que sa vie et ses enseignements peuvent éclairer notre travail sur le dialogue entre le catholicisme et l’hindouisme à La Réunion.
Devenu dominicain de la Province de France, ordonné prêtre en 1965, le frère Pierre Claverie se passionne pour la langue et la culture arabe qu’il étudie auprès des religieuses libanaises au point d’en devenir professeur d’arabe littéraire. Homme des deux rives, la culture française d’un côté et la civilisation arabe de l’autre, il va nager dans le fleuve aux courants violents de l’Algérie qui cherche à se libérer de la France.
Nommé évêque d’Oran en 1981, Mgr Pierre Claverie se consacre au dialogue avec ses frères musulmans sur lesquels il porte un regard nouveau dans la proximité et l’amitié. Le choc de la guerre d’Algérie l’a réveillé à la différence des autres. Dans le changement de regard, il éprouve aussi un nouveau regard sur lui-même. Il se sent devenir différent. Loin de tout relativisme facile, le frère Pierre Claverie, que j’ai eu l’occasion de rencontrer au couvent des dominicains de Toulouse, dira : « J’ai besoin de la vérité des autres. On ne possède pas Dieu. On ne possède pas la vérité. On ne perd pas son identité dans cette écoute. On l’enrichit ».
Dieu demeure au-delà des mots et des concepts humains. « Si tu comprends Dieu, Il n’est plus Dieu », s’exclamait saint Augustin. Dieu dépasse l’homme. Nul ne possède Dieu et la vérité divine ressemble à une source inépuisable de vie dont nous ne buvons que quelques gorgées.
Mgr Claverie se consacre au dialogue avec les musulmans ; tout d’abord dans le dialogue de la vie : « Avant le temps du dialogue, il y a le temps de l’amitié. »
L’humilité lui semblait le seul terreau susceptible de voir fleurir le dialogue dans l’altérité. Pour cela, il va à la rencontre des autres les considérant sur un pied d’égalité : « Il n’y a pas de dialogue (…) si nous croyons que nous sommes meilleurs que l’autre, plus forts que l’autre, plus saints », écrira-t-il.
Chrétien, le frère Pierre part du dialogue trinitaire du Père, du Fils et de l’Esprit. Le mot dialogue en grec contient le mot « Logos », qui désigne dans l’Évangile selon saint Jean le Verbe, la raison, la Parole créatrice. Dieu n’est pas solitaire mais dialogue éternel dans la vérité et l’amour en expansion. Mystère d’échange amoureux et créateur.
Le malheur de l’humanité se trouve dans le désir de domination : domination des forts sur les faibles, des riches sur les pauvres. L’histoire mondiale des guerres correspond à la recherche du dépassement et de l’abolition des rapports de domination. Malheureusement l’humanité reste loin d’atteindre cet idéal qui exige conversion, respect de l’autre, et humilité. Homme de prière fidèle et intense, le frère Pierre priait à partir de la béatitude de la pauvreté spirituelle : « La prière commence avec la conscience de cette pauvreté, écrivait-il ; nous sommes libres de toute possession et cela nous introduit dans une relation nouvelle … Cette dépossession ouvre notre intelligence à l’inconnu et à l’inattendu. »
À la suite de Jésus de Nazareth, son Maître et Sauveur, Mgr Claverie s’est placé sur les lignes de fracture de la société algérienne. Bouleversé par la mort de nombreux chrétiens en Algérie, il choisit d’y rester au risque de sa vie. Il déclarait : « Dieu s’est placé dans les lignes de rupture de l’humanité. Là où il y a rejet, intolérance, cassure. Qu’il s’agisse des ruptures à l’intérieur des personnes (maladie, désespérance, solitude, rejet) ou des fractures entre les groupes humains. Entre le pharisien et le publicain, entre le juif et le non-juif, entre le croyant et le non-croyant. Le Christ s’est placé là. Il n’a pas fait grand-chose de plus que de se situer là et de rester fidèle à cette place. La dernière image qui nous reste de sa vie humaine, c’est celle d’un homme écartelé… Il porte la fracture avec l’amour qui est en lui ».
En Algérie, le bienheureux Pierre s’est placé sur les lignes sismiques qui traversent le monde : Islam/Occident, Nord/Sud, Riches/Pauvres …
Il est mort assassiné, en témoin de sa foi chrétienne, en partageant la mort violente avec son ami et chauffeur musulman Mohamed.
Sa béatification a eu lieu le 8 décembre 2018 à Oran (Algérie).
Puisse son regard, son discernement et sa recherche des transformations des relations humaines éclairer notre dialogue entre le catholicisme et l’hindouisme à La Réunion.
Je vous remercie pour votre attention.
Bibliographie :
- Patrick VINCIENNE, Prier 15 jours avec Pierre Claverie, évêque d’Oran, martyr, Nouvelle Cité. 2011.
- Entretien avec Pierre Claverie, Cahiers pour croire aujourd’hui n°172. 1er novembre 1995. Paris. Éditions Assas. P. 31-33.
- Jean-Jacques Pérennès, CLAVERIE Pierre, Dictionnaire biographique des frères prêcheurs. https://journals.openedition.org/dominicains/1398?lang=fr