L’acclamation suppliante
Il se passe des choses étranges à Jérusalem depuis quelques temps. Un prophète crée du trouble dans les esprits, et on ne sait pas très bien quoi en penser. Les autorités le répriment, et la foule versatile l’acclame avant de réclamer sa mort, sous la pression des pharisiens. De la confusion règne, et la vérité semble difficile à discerner.
Les gens parlent, on entend tout et son contraire. Et on apprend soudain qu'il entre à Jérusalem, par la porte d'or, ou de la miséricorde, la plus orientale des portes de la ville, monté sur un âne et qu'il descend du Mont des Oliviers. Que faire ? Car cela est un signe fort, cette seule entrée accomplie à elle seule trois prophéties… Ce n'est pas rien. C'est quelqu'un ce Jésus, pour sûr !
Et la foule crie sa joie. Dans tous les autres évangiles, sauf chez Luc que nous venons d’entendre, les auteurs mettent dans la bouche de la foule une expression hébraïque que nous connaissons bien, puisqu’elle fait désormais partie de l’ordinaire de la messe : « hosanna ! » Hoshia’na ! Littéralement cela signifie : « Sauve-nous, maintenant ! » Ce n’est pas qu’une acclamation de joie, c’est avant tout une supplication. Le verbe « sauver » (yasha), qui se trouve également dans le nom de Jésus (Yeshoua), est ici à l’impératif, et il est suivi d’une particule de supplication.
En réalité, avant de se réjouir, la foule supplie Jésus de leur apporter le salut. Cela ne peut être plus à propos. Et pourtant tout ce monde ne sait pas ce qui va se passer dans quelques jours. Ajoutons un autre élément. Jésus part du Mont des Oliviers. Et il y retournera quelques jours plus tard, à son tour pour supplier que sa passion s’éloigne de lui. Cette mention topographique du lieu de départ de Jésus nous projette déjà à Gethsémani. Cette foule pourtant inconstante et confuse nous fait entrer dans le mystère pascal. Cette suppliante acclamation devrait inspirer l’attitude de notre âme pour les jours à venir. Le Sauveur vient pour sauver. Et il nous faut désirer ce salut, sans quoi, il ne s’opérera pas en nous. Il nous faut donc l’implorer : « Sauve-nous, maintenant ». Ce faisant, nous reconnaissons en Jésus celui qui est capable de faire cela, et nous lui disons « bénis soit celui qui vient au nom du Seigneur ! ». Du repentir mêlé à de la louange, voilà donc le juste alliage des jours saints.
Ce repentir a mûri pendant notre carême et il atteint à présent son but : la vive conscience en nous que nous avons besoin d’être sauvé, que par nous-même cela est impossible, que nous retombons sans cesse dans les mêmes fautes, que nos forces sont limitées, et que le temps finit par tout engloutir et anéantir. Cette faiblesse qui s’impose à nous nous pousse à nous tourner vers Jésus en implorant son salut : « Ne nous abandonne pas, Fils de David. Nous sommes ton peuple, accablé par nos fautes, nos manquements, nos fragilités, nos peines et nos désespoirs. » Tout cela se mêle à la joie du jour de Pâques, que nous percevons déjà. Nous sommes déjà prêts pour chanter le cantique de l’Agneau victorieux.
Larmes et liesse s’entremêlent pour former cette alchimie intérieure. Notre nature est changeante, et cela doit être utilisé pour notre bien. L’ennemi s’en sert pour notre mal. Apprenons à faire converger nos ambivalences vers le bien. Ce mystère de la foule changeante en est un excellent modèle. Ceux qui sont rassemblés acclament celui qu’ils reconnaissent comme roi en cet instant. Puis, quelques jours plus tard, ils demanderont sa mort. C’est une contradiction, un changement radical de position, un opposé strict : « Sauve-nous fils de David » - « crucifie-le » Et pourtant dans cette opposition se joue notre salut. Cette foule proclame son roi dans les deux cas, car « il a régné par le bois, le Sauveur notre maître ». C’est dans son sacrifice vivifiant, que Jésus reçoit sa royauté, par son obéissance. Et cette mort et demandée par la même foule, qui crie « Bénis soit celui qui vient au nom du Seigneur ».
Nos vies à tous sont remplies de contradictions, de paradoxes, d’oppositions irréconciliables. Mais la toute-puissance de Dieu passe autres de cela. Dieu éternel peut réconcilier les extrêmes. Pour cela, il nous faut toujours garder les yeux fixés sur lui, le parfait medium, Dieu et Homme, l’équilibre idéal, qui accueille nos supplications et nos louanges, nos larmes de tristesses et de joie, tout ce que nous disons dans : « Hosanna » !