Le chant unifiant

Face à un professeur de chant, on se demande souvent si l’on assiste à un cours d’art lyrique ou à une leçon d’anatomie. « Gonfle tes poumons, fais descendre ton diaphragme, soulève l’arrière de ton palais, rapproche tes lèvres, ouvre grand la bouche… » Après dix minutes d’explications sur la respiration et la production du son, on pourrait presque croire qu’on passe un examen médical.
Pourquoi tant d’attention au corps ? Parce que le chant, comme la pratique musicale en général, mobilise l’être entier. Les musiciens et les chanteurs le savent bien : à la fin d’un concert, on est physiquement épuisé, non seulement par la concentration, mais parce que le corps tout entier a été sollicité.
Ainsi, la musique — et l’art en général — possède cette capacité unique de nous réunifier intérieurement. Elle engage à la fois l’âme, l’esprit et le corps, et les fait œuvrer ensemble, « de concert », si l’on ose dire. Une idée ou une émotion naît en nous, et c’est par notre corps qu’elle devient partageable, qu’elle se transmet.
Il est tout de même étonnant que notre corps, si matériel, nous permette d’exprimer des réalités qui, elles, ne le sont pas. On chante et on joue pour dire ce qui dépasse le visible : la liberté, la peur, la perte, l’amour… Autant de réalités immatérielles, qui ont certes des effets sur notre chair, mais qui se vivent surtout dans l’âme et dans l’esprit. Personne n’a jamais croisé la liberté au détour d’une rue, et pourtant, que de notes ont été jouées en son honneur ! En utilisant notre corps pour exprimer ces réalités, c’est notre esprit qui vient s’unir à lui. Car il arrive que nous soyons intérieurement divisés, que notre corps et notre esprit ne désirent pas la même chose. Or, dans le chant ou la musique, tout se rassemble. Le plaisir qu’on y ressent en est le signe : la joie de faire de la musique est d’abord une joie d’unité intérieure, un alignement, une paix où tout en nous répond à tout, s’ajuste, et œuvre ensemble.
Et cela est d’autant plus vrai lorsque ce que nous chantons est sacré, lorsqu’il s’agit de Dieu. Car notre existence entière tend à lui rendre gloire. Chanter et jouer pour lui, c’est accomplir ce pour quoi nous avons été créés. L’unité intérieure que produit la musique est alors amplifiée par le sens profond de cet acte. Il n’y a rien de plus pleinement humain — et déjà divin — que de chanter. Dans l’Apocalypse, nous apprenons qu’au ciel nous chanterons et jouerons avec les anges.
Alors, frères et sœurs, comme le dit le psaume : « Alléluia, il est bon de chanter, douce est la louange. » Que nos talents servent toujours à élever le monde, et que notre unité intérieure fasse de nous des témoins et des serviteurs de la source de toute beauté.